Arts : pratiques et poétiques
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Équipe Cinéma

La fabrique du flicker : entre performance et pratique filmique - Entretiens

Les entretiens liés à la JE "La fabrique du flicker : entre performance et pratique filmique"

Projet global

Le 22 novembre 2024 se tenait la journée d’études La fabrique du flicker : entre performance et pratique filmique, organisée par Benjamin Léon et Gabriel Matteï. Suite à cette journée les étudiants de M2 Ecritures du Réel ont filmé et se sont entretenus avec certains des communicants : Benjamin Léon, Tatian Monassa et Charlie Hewison.

La notion de flicker renvoie à plusieurs domaines : électricité, éclairage, vision (« flicker de projection ») ou pratique filmique (« flicker de montage »). En électricité, le flicker consiste en un défaut de tension qui a pour conséquence de perturber la stabilité des éclairages. Cette technique, produisant une impression d’instabilité de la sensation visuelle en raison d’un stimulus dont la luminance fluctue avec le temps, est utilisée par nombre de cinéastes expérimentaux privilégiant la forme sur le contenu. En expérimentant sur les limites du médium, les artistes ayant recours à la technique du flicker (dans son acception élargie) cherchent à accentuer le « flicker de projection » en juxtaposant au montage des photogrammes noirs et blancs (ou de couleurs) créant ce que l’on peut nommer un « flicker de montage ». En résulte un effet de papillonnement (ou de clignotement), qui peut aussi être le résultat d’un montage de photogrammes renvoyant au principe mécanique de l’intermittence cinématographique.

Dans la perspective du programme de recherche « La fabrique cinématographique : entre représentations documentées et imaginaires » proposé par l’équipe cinéma du laboratoire « Arts : pratiques & poétiques » de l’Université Rennes 2, nous souhaitons mettre l’accent, durant cette journée d’études sur l’aspect technique et performatif du flicker. Quelles opérations techniques le flicker mobilise-t-il ? De quelles façons les artistes utilisent-ils le flicker dans leur pratique filmique ? À défaut de travailler le flicker au sens propre, peut-on parler d’un « effet flicker » devant certains films qui utilisent le montage à la caméra (Jonas Mekas, par exemple) ? En quoi le flicker, en raison de sa dimension autoréflexive, invite-t-il à nous interroger sur la « fabrique cinématographique » des cinéastes ? Qu’il s’agisse d’un travail sur l’intervalle, la couleur, la lumière ou l’obturateur, on notera une constante importante dans le flicker film : la mise à nu du dispositif mécanique de projection.

Entretien Charlie HEWISON

Charlie Hewison nous parle des flicker films et de la dialectique de l’anti-illusionnisme

Dans les théories et pratiques matérialistes variées du cinéma, une constante est l’anti-illusionnisme. Comprise dans l’articulation entre une tradition moderniste de l’autoréflexivité de l’œuvre d’art et l’impératif marxiste de rendre visible les conditions de production, l’anti-illusionnisme matérialiste au cinéma entend produire des œuvres qui ne permettent pas aux spectateur.rice.s d’être emporté.e.s dans un monde imaginaire créé à l’écran, mais au contraire décompose le dispositif au moment de la projection pour permettre d’en saisir les processus divers qui la rendent possible. Or, il y a une ambiguïté ou une dialectique constitutive dans le rapport des flicker films à l’illusion cinématographique. Il semblerait que, comme l’avait écrit Peter Gidal dans un autre contexte, le dispositif même du cinéma tendra toujours vers la représentation : même du film vierge projeté engendre « des associations abstraites (ou non) ».

On peut peut-être alors approcher le flicker film non pas simplement comme une pratique qui met à nu un des éléments du dispositif cinématographique, mais comme un exemple du rapport complexe qu’entretient ce dispositif avec l’illusion.

Entretien Tatian MONASSA

Tatian Monassa nous parle de la fabrique de l’intermittence perceptive dans l’œuvre filmique et performative de Ken Jacobs :

Ken Jacobs est un cinéaste à la fois foncièrement bricoleur et profondément intellectuel. Sa manipulation des outils et des matériaux à sa disposition (projecteurs, bobines de film, lanternes, etc.) est mue par des interrogations assez sophistiquées. Profondément marqué par les enseignements du peintre expressionniste abstrait Hans Hofmann, Jacobs se fixe progressivement un objet expérimental de prédilection : les phénomènes de perception visuelle éphémère du mouvement. Dans le cours de ses recherches, il trouve dans l’intermittence perceptive un outil privilégié pour tester des hypothèses créatives. C’est ainsi qu’il investit le flicker, scintillement provoqué par le passage de l’obturateur devant le film dans une projection argentique, comme un opérateur d’expérimentation d’effets divers, parmi lesquels la perception momentanée en trois dimensions et la production d’un mouvement « suspendu » entre répétition et ralenti, qu’il nomme Eternalism. Manipulant ces intervalles noirs entre deux images, soit lors de performances de projection ou de montages photogramme par photogramme, Jacobs interroge non seulement les différents impacts de l’interruption du flux lumineux sur notre perception, mais aussi comment des éléments techniques matériels engendrent des formes abstraites. L’imbrication entre ces deux problèmes esthétiques majeurs traverse l’ensemble de son œuvre, affirmant le flicker comme motif structurel et comme motif plastique.

 

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Entretien Benjamin LEON

Benjamin Léon nous parle de lumière stroboscopique et de son optique : une poétique du flicker chez Bruce McClure

Architecte de formation, McClure propose depuis les années 1990 des performances dans des lieux en lien avec le cinéma expérimental et la musique underground. À l’aide de projecteurs 16 mm modifiés, chargés de boucles de films, McClure manipule le défilement de l’image en créant des effets optiques basés sur la pulsation lumineuse syncopée (l’effet flicker).

Ce travail produit une expérience multisensorielle stimulante mais éprouvante pour le spectateur, rendant difficile le regard soutenu en direction de l’écran. Dans le cadre de cette communication, Benjamin Léon met en avant deux éléments constitutifs du flicker dans les performances filmiques de McClure : la lumière stroboscopique et le son optique. En insérant des filtres métalliques sur les projecteurs et en générant des boucles de films opaques puis transparents, nous verrons comment l’artiste construit sa lumière stroboscopique. Quant à la manipulation de la bande image, elle a pour conséquence directe de modifier le son, en le faisant défiler soit plus rapidement, soit plus lentement. McClure dirige le son produit par la lecture de la bande sonore optique vide par les projecteurs vers des pédales de délai comme en utilisent les guitaristes. Le spectateur a l’impression d’en percevoir l’organisation spatiale, mais aussi d’en imaginer l’orchestration pourtant inexistante. Dans la mesure où ces performances s’inscrivent dans l’espace du lieu investi, Benjamin Léon analyse cette fabrique d’images en lien avec le concept « d’indétermination » popularisé par le compositeur et poète américain John Cage.

 

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